Désinfection pré-chirurgicale des mains avec des solutions hydro-alcooliques
Pierre CLERFOND
Docteur Vétérinaire, Spécialiste en chirurgie, Diplomé ACVS
4530 Autoroute 440, Laval – Québec, H7T 2P7
Introduction
L’asepsie chirurgicale péri-opératoire est un principe essentiel pour prévenir les infections post-opératoires. Cela implique la stérilité du matériel utilisé, la propreté/désinfection des salles opératoires, et aussi le respect des pratiques d’asepsie de la part du chirurgien.
La désinfection des mains est évidemment un jalon essentiel dans la diminution des risques infectieux pour le patient. En effet, même si les mains ne sont pas en contact direct avec les tissus du patient, car protégées par des gants stériles, il n’en est pas moins que cette barrière peut parfois être brisée. Une étude réalisée dans 2 centres de référence vétérinaires13 a montré qu’une perforation des gants était notée dans 23,3 % des procédures, en général sur la main non dominante. Les perforations concernaient toutes les procédures mais particulièrement les procédures orthopédiques, et les chirurgiens ne pouvaient pas prédire si leur gant était perforé ou non. D’autres études en médecine humaine montraient des perforations pouvant aller jusqu’à 67 % des cas1. L’utilisation de 2 paires de gants, ou le changement de gants toutes les 60 minutes en procédures orthopédiques sont autant de pistes de solutions pour limiter les risques mais aucune d’elles n’est infaillible.
Brossage chirurgical
Le brossage chirurgical a été pendant longtemps la référence pour la désinfection pré-chirurgicale des mains. Deux principaux types de produit se sont pendant longtemps affrontés : la povidone iodée et le gluconate de chlorhexidine2. La povidone iodée a longtemps été la désinfection de choix en médecine humaine. En effet, l’iode a un spectre d’action très large, à la fois sur les Gram positif, Gram négatif, le bacille tuberculeux, les spores bactériennes ou encore les levures in vitro, 14. L’effet antiseptique de l’iode démontré in vitro a par la suite été contesté in vivo et a conduit progressivement à une diminution de son utilisation1. De plus, un autre effet indésirable de la povidone iodée est son effet asséchant et irritant sur la peau. Enfin, la povidone iodée est inactivée par les matières organiques (sang, sueur, sébum, pus…) et possède peu d ‘effet résiduel14. De son côté, le gluconate de chlorhexidine utilisé à 4% possède un spectre d’action très large autant sur les Gram positif que négatif, mais ne possède pas d’action sur les spores bactériennes (Clostridium). L’action de la chlorhexidine est peu influencée par la présence de matières organiques et elle possède en plus un effet résiduel sur la peau qui permet une action prolongée tout au long de la chirurgie2, 14. Même si elles sont rares, des résistances à la chlorhexidine ont été rapportées, et elle peut aussi être irritante et allergène1 pour la peau du chirurgien.
L’utilisation de savon à la chlorhexidine ou à la povidone iodée implique un brossage méthodique des mains et des avant-bras avec un temps de contact recommandé de 3 à 5 minutes selon les études. Cependant, il a été démontré que l’action mécanique répétée de la brosse sur la peau a des effets néfastes à la fois pour l’intégrité cutanée, mais aussi pour la flore bactérienne cutanée1. Le brossage chirurgical détruit la couche lipidique cutanée, ce qui a pour conséquence de la rendre plus perméable aux agents toxiques et aux micro-organismes. De plus, la destruction de la couche protectrice de la peau rend la colonisation cutanée plus aisée pour les bactéries nosocomiales, ce qui rend la peau de plus en plus difficile à désinfecter. Paradoxalement, au fil du temps, les chirurgiens ont donc des mains plus contaminées et avec des bactéries plus résistantes que la moyenne des gens !12 Enfin, la réalisation de brossages chirurgicaux implique l’utilisation d’eau pour le rinçage des mains. Une étude humaine a montré que si le jet coule en continu, c’est environ 20 L d’eau qui sera utilisé lors de chaque brossage de la journée, pour une utilisation efficace pour le lavage des mains de «seulement» 5 L d’eau sur le 20 L8. De plus, le robinet peut être une source de contamination de l’eau notamment par Pseudomonas aeruginosa et la période de rinçage est une période à risque pour la contamination des mains.
Solutions hydro-alcooliques
L’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) recommande maintenant l’utilisation des solutions hydro-alcooliques (SHA) plutôt que les méthodes de brossage traditionnelles. Ces solutions sont en général composées d’alcool (isopropanol, éthanol, n-propanol) associé à un agent possédant un effet résiduel. L’effet désinfectant de l’alcool tient à sa capacité à dénaturer les protéines. Les 3 types d’alcool ont une action qui selon les études diffère légèrement mais tous les 3 sont reconnus pour leur bonne action bactéricide et peuvent être utilisés. Le spectre d’action de l’alcool est très large (Gram+, Gram-, mycobacterium, levures et certains virus). Cependant lorsque utilisé seul, il ne possède aucun effet résiduel et n’a pas d’activité sporicide9-10. C’est pourquoi pour une désinfection chirurgicale des mains il est généralement associé à un autre agent désinfectant comme la chlorhexidine. L’ajout de la chlorhexidine à une concentration de 0,5 à 1 % permet d’obtenir un effet résiduel, et certaines études ont même démontré une activité résiduelle égale ou supérieure aux brossages chirurgicaux traditionnels à base de chlorhexidine. L’OMS recommande actuellement l’utilisation de SHA avec alcool (concentration de 60 à 80 % pour une efficacité optimale) et chlorhexidine (concentration de 0,5 à 1 % pour une efficacité optimale) pour la désinfection pré-chirurgicale des mains. L’alcool en concentration trop élevée serait moins intéressant pour une désinfection des mains car pour dénaturer les protéines l’alcool doit réagir avec une partie d’eau9. La quantité à utiliser de solution hydro-alcoolique n’est pas clairement établie et est dépendante de la taille des mains de l’utilisateur. Les normes européennes pr EN 12791 recommandent l’application des gels hydro-alcooliques sur une période de 3 minutes7. Une étude récente5 a démontré que certains gels pouvaient avoir une efficacité similaire avec un temps d’application de 90 secondes. Cependant, d’autres études sont encore nécessaires afin d’établir si le raccourcissement du temps de contact ne nuit pas à l’efficacité du produit. L’utilisation de gel hydro-alcoolique ne peut pas remplacer l’action mécanique procurée par un lavage de main afin d’enlever les matières organiques présentes sur les mains. De plus, aucun agent désinfectant (alcool, chlorhexidine, iode) n’est efficace, in vivo, contre les spores bactériennes comme celles de Clostridium. Un lavage manuel permet d’éliminer mécaniquement de telles particules. Ainsi, les SHA devront être utilisés sur des mains propres (mais non stériles) et sèches7,10. En début de journée, un curettage des ongles et un nettoyage des mains avec un savon nettoyant mais non antiseptique est recommandé afin d’avoir des mains «macroscopiquement» propres. La SHA peut ensuite être appliquée. La réalisation d’un brossage chirurgical avant l’application de la SHA n’est pas nécessaire et selon certaines études11 est même déconseillé car il pourrait réduire l’efficacité de la SHA sur le long terme en augmentant le risque de dermatite rendant ainsi la peau plus difficile à désinfecter. Une autre considération importante est de conserver la solution hydro-alcoolique dans un contenant adapté. Du fait de sa volatilité, il est essentiel de bien conserver les SHA dans un contenant étanche au risque de voir la concentration efficace en alcool, et donc son action désinfectante, diminuer10. Le protocole détaillé de la désinfection des mains est détaillé dans la référence 7.
Conclusion
L’utilisation des SHA est donc maintenant recommandée en première ligne pour la désinfection préopératoire des mains. Elle présente les avantages d’être rapide, efficace avec un spectre d’action similaire voir plus large par rapport aux désinfections/brossages classiques, de diminuer les risques de contamination par la source d’eau, et d’être écologique étant donné la moindre consommation d’eau. Tout comme avec les brossages chirurgicaux classiques, il est important de bien respecter les protocoles d’utilisation afin d’obtenir une efficacité maximale du produit, au risque sinon d’avoir une désinfection insuffisante.4
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Mots-clefs : brosse, chirurgie, chlorhexidine, désinfection, gants, lavage, mains, povidone iodine, solution hydro-alcoolique