A propos d’une fracture médio diaphysaire tibiale chez un Tervuren de 4 mois
Introduction
Les fractures diaphysaires du jeune animal présentent certaines particularités comparativement aux fractures de type équivalent de l’adulte. Le présent article concerne une fracture de la diaphyse tibiale sur un chien de race Tervuren de 4 mois. Nous n’aborderons donc pas ici la problématique des fractures impliquant les cartilages de croissance ou bien les fractures articulaires du jeune.
Cas clinique
Un chiot Tervuren de 4 mois est amené à la consultation pour une fracture du tibia consécutive à un coup de pied de cheval survenu la veille :
Il s’agit d’une fracture médio-diaphysaire du tibia, fermée, en biseau à tendance spiroïde, peu déplacée, avec effraction minime du périoste sur un animal de race grande à moyenne âgé de 4 mois. Aucune autre lésion n’est visible à la radio, la fibula notamment demeure intacte. Les corticales sont peu épaisses, les cartilages de croissance sont actifs. Il s’agit donc d’une fracture diaphysaire simple, non esquilleuse d’un os « jeune ».
Une réduction anatomique parfaite n’est pas recherchée : l’alignement du membre en longueur et rotation a été privilégié. L’intégrité de la fibula est dans ce cas d’une aide précieuse. Un des avantages de la fixation externe dans ce cas est qu’elle permet dans une certaine mesure une correction a posteriori d’un défaut d’alignement ou de rotation s’ils ne sont pas satisfaisants sur le cliché postopératoire.
A noter : les broches transverses passent à distance des cartilages de croissance ; un léger chevauchement des abouts entraîne une légère perte de longueur du membre.
Concernant les pertes de longueur par chevauchement, il est remarquable qu’en orthopédie pédiatrique humaine, les fractures diaphysaires des os longs du petit enfant ( moins de 4 ans) sont fréquemment traitées conservativement par plâtre et qu’il est volontairement conservé un chevauchement de plusieurs centimètres car le site fracturaire, une fois guéri, subit une hypercroissance en longueur pouvant atteindre plusieurs cm. Le chevauchement initialement conservé se trouve donc ainsi compensé et permet de restaurer une longueur du membre proche de celle du côté opposé. Il n’existe pas à notre connaissance d’étude portant sur une hypercroissance osseuse post-fracturaire chez le chien, mais il semble tentant de postuler que ce phénomène se produit également dans les autres espèces que l’Homme
Par ailleurs, chez les quadrupèdes, le port du membre en Z permet à l’animal de compenser une éventuelle dissymétrie de longueur de faible importance par rapport au côté controlatéral et ne génère habituellement pas de boiterie.
Le contrôle à un mois postopératoire est satisfaisant ; le chiot se sert normalement de son membre, on no note pas de défauts de croissance ou d’alignement.
Discussion
Les caractéristiques de l’os « jeune » peuvent être résumées ainsi :
- Animal en cours de croissance active.
- l’os croît en longueur grâce à l’activité des cartilages de croissance : leur atteinte lors du traumatisme initial ou iatrogène doit impérativement être considérée quant aux conséquences sur l’anatomie ultérieure de l’os : défauts de longueur, déviations du membre atteint, incongruence articulaire.
- L’os croît en largeur grâce à l’activité du périoste qui demeure durant toute la phase de croissance une membrane épaisse, richement vascularisée et peu adhérente qui irradie de nombreuses artérioles nourricières en direction de la corticale osseuse dans lesquelles elles s’anastomosent avec le système artério-veineux provenant de l’irrigation médullaire
- Os peu minéralisé : les corticales sont fines, fragiles, déformables (os « élastique ») . Il faut noter à ce propos l’importance des différences raciales à un âge donné identique. Chez un animal de grande race ou de race géante, la minéralisation corticale est plus tardive que chez l’animal de race petite ou moyenne. Ceci a des conséquences pratiques sur la tenue des implants éventuels (risques majorés d’arrachement sur un os peu corticalisé).
Les conséquences pratiques de ces caractéristiques osseuses seront principalement :
- la rapidité de la formation d’un cal de bonne qualité du fait de la présence du périoste, membrane nourricière de l’os en croissance, et de la circulation de nombreux facteurs de croissance sanguins.
- Le choix de la technique de traitement qui doit être adaptée à un os « souple » et peu corticalisé.
Choix de la technique de traitement :
Face à une telle fracture, plusieurs possibilités de traitement sont envisageables :
- Traitement conservateur par contention externe : il pourrait s’avérer une indication limite dans ce cas : la fracture est peu déplacée, la fibula est intacte, le jeune âge de l’animal permet d’espérer une cicatrisation rapide puisque le foyer de fracture ne serait pas abordé et la vascularisation non compromise par un abord chirurgical. Pour ce qui est des inconvénients, une contention externe nécessite de pouvoir immobiliser les articulations adjacentes, en l’occurrence grasset et tibio-tarse. Or l’immobilisation prolongée d’un membre chez l’animal jeune entraîne une ankylose articulaire sévère avec fonte musculaire associée et dans certains cas, une maladie fracturaire (i.e. fibrose irréversible des muscles). De plus l’immobilisation sous contention externe est toujours imparfaite : sur un animal jeune et turbulent (dans notre cas Tervuren de 4 mois), la restriction impérieuse d’activité lors de contention externe est une gageure pour les propriétaires et des complications liées aux mouvements du membre sous la contention sont à redouter : de bénignes (glissement du pansement contentif, escarres, macérations…) elles peuvent aller jusqu’à des complications majeures (dans notre cas, transformation d’une fracture fermée en fracture ouverte du fait de la forme et de la position du biseau de l’about proximal, le tout sous un pansement ne permettant pas la surveillance d’une telle complication). Aussi, cette option conservatrice n’est-elle pas retenue.
- Traitement par implants chirurgicaux : par plaque vissée en face médiale ou par fixation externe. Dans ce cas, l’immobilisation des abouts fracturaires est alors bien meilleure qu’avec une contention externe. Ainsi, lors de l’organisation de l’hématome fracturaire en cal osseux, l’absence de micro mouvements permet d’assurer une cicatrisation de meilleure qualité. En effet, sur une fracture simple, non esquilleuse, les micro mouvements résiduels exercent un bras de levier bien plus important sur le cal en voie d’organisation que dans le cas d’une fracture multi esquilleuse (distance de mouvements interfragmentaire moindre dans le cas de nombreux fragments qu’avec simplement deux abouts osseux). Ainsi, les travées cellulaires qui s’organisent dans le cal en voie de formation ne subissent-elles pas de multiples micro déchirures délétères. L’organisation du cal osseux avec des abouts parfaitement immobilisés est donc plus rapide et moins exubérante.
Le choix doit donc se faire entre une plaque vissée ou un fixateur externe.
Dans le cas d’une plaque vissée, la problématique principale consiste en la probabilité d’arrachage des implants du fait de la faible tenue des vis dans les corticales d’un jeune animal. Pour pallier à cette complication majeure, il convient dès lors de limiter les possibilités d’arrachement des implants ; soit en procédant à une ostéosynthèse « souple » (plaque longue et peu rigide avec vis placées le plus à distance possible du foyer fracturaire : ainsi les contraintes se répartissent sur toute la longueur de plaque ce qui limite les forces d’arrachage des vis), soit en utilisant des implants verrouillés (plaque rigide, mais têtes de vis tenues par filetage dans la plaque et non plus par simple forces de compression entre le couple os/plaque et les vis serrées contre la plaque; design du corps des vis adapté à l’os avec peu de tenue, voire ostéoporotique en orthopédie humaine).
Par ailleurs, dans le cas d’une ostéosynthèse par plaque vissée, il faut impérativement prévoir l’ablation des implants dès la cicatrisation acquise, sous peine de voir se produire une ostéointégration à terme des implants (plaque et vis recouverts intégralement par de l’os néoformé ) . L’AMO à terme cicatriciel nécessite donc un passage au bloc chirurgical dans des conditions d’asepsie rigoureuses.
Dans le cas d’un fixateur externe, les inconvénients principaux sont la nécessité de soins réguliers (changements réguliers de pansements) jusqu’au retrait de celui-ci, ainsi que l’aspect esthétique parfois mal accepté par les propriétaires. En revanche, le retrait du fixateur une fois la cicatrisation acquise est simple et peut s’effectuer sous sédation légère.
Dans tous les cas, quelle que soit la modalité d’ostéosynthèse retenue, il est préférable de réaliser l’intervention à ciel fermé, c’est à dire sans abord ouvert du foyer de fracture afin de préserver l’hématome fracturaire et la vascularisation péri-fracturaire. C’est évidemment le cas lors de fixation externe mais lors de fixation interne on privilégiera les techniques dites mini invasives qui consistent à réaliser un abord de petite taille de chaque extrémité osseuse et à glisser littéralement la plaque le long de l’os en passant par-dessus le foyer fracturaire. La réduction consiste alors essentiellement à restaurer l’axe et la longueur osseuses par taxis externe avant fixation des implants, généralement par deux vis à chaque extrémité de plaque. Par ailleurs, aussi bien dans le cas de la fixation externe que dans celui d’une ostéosynthèse par plaque, il faut prendre garde à ne pas endommager les cartilages de croissance et positionner les implants à distance de ceux-ci.
Conclusion
Ce cas clinique illustre l’intérêt d’une fixation stable des abouts osseux lors de fracture diaphysaire chez le jeune animal. On retiendra également la rapidité de la cicatrisation osseuse, obtenue en un peu moins de trois semaines et le cal de taille minime.