Un cas de méniscectomie sous arthroscopie
Guillaume RAGETLY
DMV, Dipl. ECVS, ACVS, PhD, spécialiste en chirurgie.
43 Avenue Aristide Briand – 94110 Arcueil +33 (0)1 49 85 83 00
Un chien mâle castré de 5 ans est présenté en consultation au Centre Hospitalier Vétérinaire Frégis à Arcueil pour une boiterie importante du membre pelvien droit notée depuis 3 mois.
Le chien a déjà été opéré un an auparavant d’une TPLO dans une autre structure. Il avait récupéré en quelques semaines et aucune boiterie n’était notée deux mois après la chirurgie, le contrôle montrant une guérison osseuse complète.
Examen clinique et orthopédique
L’examen clinique général et l’examen nerveux sont normaux. L’examen orthopédique met en évidence une boiterie de grade 3/5 (boiterie rapportée allant jusqu’à un degré 4/5) avec un test d’accroupissement positif pour le membre pelvien droit.
Une amyotrophie est notée et seule l’articulation du grasset paraît anormale à l’examen rapproché. On note un gonflement articulaire avec un signe du tiroir direct positif mais un signe de Henderson négatif. Une fibrose médiale est notée. La plaque est palpée au niveau de son aspect le plus distal mais aucune réaction douloureuse n’est notée lors de l’application d’une pression forte sur l’implant.
Une douleur à la flexion du grasset est présente et l’amplitude de mouvement du grasset en flexion est diminuée. Un « clic » très léger est senti par intermittence.
Examens complémentaires
Des radiographies sont réalisées (Figure 1 et 2). Un épanchement synovial est visible crânialement et caudalement à l’articulation fémoro-tibiale (flèches). Des signes d’arthrose sont principalement observés au niveau de l’extrémité distale de la rotule, de la trochlée fémorale et des extrémités du plateau tibial (têtes de flèche). Le remaniement osseux suite à la TPLO est bien terminé, la plaque paraît correctement placée. Six vis corticales classiques sont observées (variante de la technique habituelle sans vis verrouillée proximale). La pente du plateau tibial est mesurée à 12 degrés.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic différentiel pour cette boiterie du grasset inclus une lésion méniscale subséquente, une gêne liée aux implants (irritation ou infection), une tumeur (articulaire ou péri articulaire non visualisée aux radiographies) et une progression de l’arthrose.
La lésion méniscale subséquente semble la plus probable, bien qu’elle soit moins fréquente à la suite de TPLO que des autres techniques d’ostéotomie. En effet, plusieurs éléments font ici penser à cette hypothèse :
- Une récidive soudaine de la boiterie alors que la chirurgie et les premiers mois post-opératoires se sont passés sans complication,
- Une récidive de boiterie suite à une TPLO où la pente tibiale post-opératoire est supérieure aux recommandations, faisant penser qu’une instabilité résiduelle reste possible lors de l’appui,
- Une douleur à la flexion du grasset. Une étude par Dillon et coll. a en effet montré que les chiens avec une atteinte du ligament croisé et qui ont une douleur à la flexion, avaient 4,3 fois plus de risques d’avoir une lésion méniscale,
- Un clic lors de la manipulation du grasset. Une étude par Dillon et coll. a démontré que les chiens qui présentaient « un clic » lors de la manipulation, avaient 11,3 fois plus de risques d’avoir une lésion méniscale. La sensation de « clic » avait une fiabilité diagnostique de 75%. Cette fiabilité a été confirmée par l’étude de Neal et coll. qui ont aussi établi la valeur prédictive positive (85%) et la valeur prédictive négative (72%) du « clic » méniscal.
Une exploration arthroscopique est décidée en accord avec les propriétaires. La possibilité de la combiner avec une ablation du matériel d’ostéosynthèse est discutée et envisagée en cas de lésions intra articulaires peu importantes.
Technique chirurgicale
Le chien est positionné en décubitus latéral gauche, le membre pelvien droit est suspendu après une préparation chirurgicale classique.
Un distracteur de grasset (Karl Storz Endoscopie France, Figure 3) est d’abord placé médialement. Une ponction avec une lame de bistouri n° 11 est faite au travers de la peau et du tissu sous-cutané au niveau de la crête tibiale médiale, plus crânialement que d’habitude en raison de la présence d’une plaque de TPLO. Une broche du distracteur est insérée manuellement. Une ponction avec une lame de bistouri n° 11 est réalisée au travers de la peau et du tissu sous-cutané, au niveau du condyle fémoral médial. Une broche du distracteur est insérée manuellement. Le dispositif est mis en place mais le grasset n’est pas encore distracté (Figure 4).
Pour l’arthroscopie, une incision est faite au travers de la peau et du tissu sous-cutané de chaque côté du tendon patellaire, dans une zone où ne passent aucunes structures vasculo-nerveuses ou ligamentaires. Ces zones triangulaires sont délimitées par le condyle fémoral, le plateau tibial et le ligament patellaire. Ces incisions sont faites à mi-distance de la rotule et de la tubérosité tibiale (port latéral et port médial). L’articulation est distendue ensuite avec une seringue de 20 ml contenant du sérum physiologique (Figure 5). L’egress (port de sortie pour les fluides) est fait par une incision au niveau du cul de sac médial.
La chemise et le trocart sont ensuite placés au niveau du port latéral perpendiculairement à la peau et avancés progressivement en direction du ligament croisé crânial. Cette approche oblique donnera la meilleure visualisation du ménisque médial si celui-ci est lésé. Le membre est étendu afin d’élargir l’espace articulaire fémoro-patellaire que la chemise traverse. La chemise et le trocart sont avancés jusqu’à atteindre la portion médiale du cul-de-sac synovial supra patellaire. Le trocart est retiré et remplacé par l’arthroscope. Lorsque l’arthroscope est en place, le débit de fluide est augmenté pour maintenir en continu une bonne visibilité des structures articulaires.
L’examen commence ensuite par une observation complète de l’articulation : le sac synovial supra patellaire médial (Figure 6), le sac synovial supra patellaire latéral (Figure 7), la trochlée proximale (Figure 8), la trochlée, la rotule (Figure 9) et finalement la trochlée distale. Les signes de synovite et d’arthrose sont assez importants.
Pour mieux observer l’espace inter condylien, un « shaver » (Arthrex Vet Systems) est inséré dans le port médial. Il permet d’aspirer une partie du coussinet adipeux à l’aide de l’embout « coolcut » de 4 mm, ce qui donne une fenêtre de visibilité plus large. En effet, l’avancement de l’arthroscope réduit le champ de vision et vice versa. Pouvoir reculer l’arthroscope permet donc d’avoir une vision plus large lors de manipulation arthroscopique.
L’espace inter condylien est ensuite observé. Le ligament croisé crânial n’est pas visualisé mais des restes de ligament sont observés. Le ligament croisé caudal semble normal. Le ménisque médial est visualisé et mais il est anormal. La corne caudale est repliée en avant du condyle fémoral. Le ménisque latéral est normal (Figure 10). Une synovite plus marquée est observée au niveau du condyle fémoral médial et une lésion cartilagineuse avec éburnation complète est localisée juste en regard de la lésion méniscale (« kissing lesion ») (Figure 11).
La distraction est ensuite réalisée, permettant ainsi d’augmenter l’espace inter articulaire. Le port médial (instrument) est élargi avec une lame de 11 (de 5 mm de diamètre, l’ouverture est étendue à 1cm) et une pince est utilisée pour bloquer la corne caudale. Une lame est utilisée pour couper le ménisque axialement et ab axialement à la pince, un fragment méniscal est retiré. La méniscectomie partielle est complétée à l’aide d’une pince d’arthroscopie permettant de pincer et couper le ménisque. Les extrémités axiales et ab axiales du ménisque sont ensuite érodées avec le « shaver dissector coolcut » (Arthrex Vet Systems). L’aspect final est satisfaisant (Figure 12).
Les instruments sont retirés ainsi que les deux broches du distracteur. Les 5 incisions sont refermées à l’aide d’agrafes.
Suivi
Dès le lendemain de la chirurgie, la boiterie est diminuée. Le chien restera au repos 4 semaines puis aura deux semaines de retour progressif à l’activité avant de pouvoir retourner à une activité sportive.
Discussion
Intérêt de l’arthroscopie du grasset
L’arthroscopie diagnostique et chirurgicale sont des avancées majeures de la chirurgie orthopédique vétérinaire des 20 dernières années. Ses avantages sont une faible morbidité, une durée d’hospitalisation réduite, une récupération fonctionnelle précoce, l’absence de cicatrice, et surtout la possibilité de mieux détecter certaines pathologies.
Il a été clairement établi que l’arthroscopie du grasset permet un meilleur diagnostic des lésions méniscales que les arthrotomies (permet de détecter deux fois plus d’anomalies). La sensibilité de l’arthroscopie pour détecter des pathologies méniscales a été établie à 80 % alors que celle de l’arthrotomie est de 20%. Les figures 13 et 14 montrent la bonne visibilité sur les lésions du ménisque médial dans ce cas.
Les indications de la chirurgie du genou sous arthroscopie incluent notamment :
- Le diagnostic des pathologies des ligaments croisés et des ménisques,
- Les méniscectomies totales ou partielles,
- Les chondroplasties,
- Le retrait ou la fixation des volets cartilagineux lors d’ostéochondrite disséquante,
- Les biopsies synoviales,
- Le lavage et le débridement lors d’arthrite septique.
Cependant, l’arthroscopie du grasset reste la plus difficile des cinq articulations couramment examinées sous arthroscopie (épaule, coude, grasset, tarse et carpe) et sa maitrise nécessite patience, entrainement et obstination. Par contre, l’amélioration de la qualité optique des petits arthroscopes, l’utilisation de caméras haute définition ont rendu I’arthroscopie du grasset plus aisée en pratique courante.
D’autre part, l’accent devrait être mis plus souvent sur la rapidité de récupération et de reprise fonctionnelle après une intervention réalisée sous arthroscopie. En effet, la douleur et l’inflammation après une arthroscopie du grasset sont diminuées par rapport à une arthrotomie classique.
Traitement méniscal et conséquences
L’atteinte méniscale doit être corrigée lorsqu’elle est diagnostiquée. Les lésions partielles pouvant plus facilement progresser si elles ne sont pas traitées. Lorsque les lésions sont radiales ou sont longitudinales mais avec une préservation du tiers extérieur de la corne, une méniscectomie partielle est indiquée. Dans notre cas, une méniscectomie segmentaire a du être réalisée car le tiers externe de la corne (le tiers vascularisé) basculait crânialement lors de la manipulation.
Certains chirurgiens ont préconisé le relâchement méniscal pour éviter des problèmes méniscaux subséquents. Cette approche n’est plus indiquée étant donné le très faible nombre de lésions méniscales subséquentes avec des approches comme la TPLO si la technique est correctement réalisée (2,8%). D’autant plus que le relâchement méniscal diminue la zone de contact fémoro-tibiale de 50% et augmente de 40% le stress articulaire.
Références bibliographiques :
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- Neal BA, Ting D, Bonczynski JJ, et coll. Evaluation of Meniscal Click for Detecting Meniscal Tears in Stifles with Cranial Cruciate Ligament Disease. Vet Surg. 2014 epub.
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- Beale BS, Hulse DA, Schulz KS, et coll. Small animal arthroscopy, Philadelphia, 2003, Saunders/Elsevier.
Mots-clefs : arthroscopie, articulation, chien, chirurgie, dog, fregis, genou, grasset, meniscetomie, ménisque, ragelty, surgery, tplo, vet, vétérinaire